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Leur société
Mayotte : une catastrophe aux racines sociales
Samedi 14 décembre, le cyclone Chido a laissé derrière lui un paysage apocalyptique. Tout le monde redoute désormais le déclenchement d’une crise sanitaire à cause du manque d’eau, de nourriture et des morts ensevelis en urgence.
Le préfet a annoncé que plusieurs milliers de morts étaient à craindre sans qu’il puisse en faire le décompte. Tous les bidonvilles ont été balayés, beaucoup de maisons endommagées. Les routes sont bloquées par les débris et les arbres arrachés. Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, le réseau de télécommunications est intermittent. Saturé déjà avant le passage du cyclone, le seul hôpital de Mayotte pour 400 000 habitants est en bonne partie inutilisable. Des écoles sont en ruines et la tour de contrôle de l’aéroport est détruite.
Avec des vents à plus de 250 km/h, le cyclone a été d’une extrême violence. Mais le phénomène climatique n’explique pas l’essentiel. « Chido » signifie « miroir » en shimaoré, la langue mahoraise. Le terme est approprié tant ce cyclone reflète la situation sociale catastrophique dans laquelle l’État français maintient Mayotte.
L’ampleur des ravages s’explique d’abord par l’extrême pauvreté et le sous-développement qui règnent dans ce département français où plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Alors que les technologies modernes permettraient de construire des logements et des structures capables de résister à des cyclones, à Mayotte plus de 100 000 personnes vivaient dans des cases en tôles, sans eau courante ni toilettes. Aucune n’a résisté.
Si la préfecture a diffusé l’alerte dans les jours précédents, ses conseils étaient hors de portée de dizaines de milliers d’habitants. Ainsi, la veille du cyclone, la préfecture annonçait : « D’ici 22 heures, la population doit être confinée dans une habitation solide, avec à disposition un stock d’eau, de nourriture pour tenir le temps du cyclone. » Si elle indiquait une liste d’hébergements d’urgence disponibles, leurs 10 000 places étaient bien insuffisantes.
Mais surtout les habitants les plus pauvres ne sont pas allés vers ces lieux car ils n’ont aucune confiance dans l’État. Celui-ci les pourchasse sans relâche depuis des années, détruisant les bidonvilles, comme lors de la dernière opération à Mavadzani, deux semaines auparavant, qui a mis à la rue plus de 4 000 personnes. Beaucoup sont des immigrés sans papiers venus des autres îles des Comores. Ils sont harcelés au quotidien par les forces de répression, qui déportent plus de 25 000 personnes par an. Craignant de se faire expulser, ils sont restés dans leurs habitations et beaucoup sont désormais ensevelis sous les amas de tôles. La chasse aux pauvres s’est transformée en carnage.
Le passage de Chido a montré que l’État met en danger tous les habitants de l’île, avec ou sans papiers. Car les moyens déployés pour rendre la vie impossible aux plus pauvres ne l’ont pas été pour construire des logements solides, renforcer les réseaux d’électricité et d’eau, assurer la solidité de l’hôpital…
Et cela continue. Malgré les promesses des ministres ou de Macron, l’immense majorité de la population ne pourra pas compter sur l’État pour lui porter secours et rebâtir les habitations détruites. Comme partout, après chaque catastrophe, les classes populaires savent qu’elles ne peuvent compter que sur elles- mêmes. Elles ont commencé sans délai à porter secours à ceux qui sont restés coincés sous les décombres, à déblayer les routes, à remettre en état le plus urgent, à récupérer les matériaux encore utilisables pour construire de futures cases. La solidarité permet de recharger son téléphone ou simplement de se mettre à l’abri chez le voisin qui a encore quatre murs et un toit. Il faudra des semaines, voire des mois, pour remettre les infrastructures en état. Ce ne sont pas les hauts gradés qui versent des larmes de crocodile à la télévision mais bien les électriciens, les ouvriers du réseau d’eau, les soignants et tous les travailleurs qui sont à pied d’œuvre.
Contrairement à la démagogie du ministre démissionnaire de l’Intérieur Retailleau, qui a envoyé des renforts de police pour « prévenir des pillages », il n’y a pas de chaos. Au contraire, on a vu de longues files d’attente s’allonger dans le calme devant le seul supermarché ouvert de l’île et devant les distributeurs automatiques. Car Sodifram, l’un des deux groupes de grande distribution de l’île, continue à vendre ses produits, exigeant un paiement en cash. L’île est rasée, des dizaines de milliers d’habitants n’ont plus rien mais des capitalistes continuent à faire du profit. Ce sont les vrais voyous !