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Soudan : derrière les crimes, l’impérialisme
La guerre civile fait rage au Soudan depuis maintenant dix-neuf mois. Deux chefs militaires, unis en 2019 pour écraser le mouvement populaire, s’y affrontent à présent pour contrôler le pays et mettre la main sur ses richesses. La population, elle, tente de survivre comme elle le peut dans cet enfer.
Treize millions de Soudanais ont dû s’enfuir de chez eux et 150 000 personnes ont été tuées. À Khartoum, la capitale, et dans sa ville jumelle d’Omdurman, les deux armées se sont affrontées des mois durant. Des comités populaires ont tenté comme ils le pouvaient d’aider la population prise entre deux feux en se procurant quelques aliments, en trouvant des abris ou en réussissant parfois à ouvrir un hôpital de fortune. Dans tout le pays, villes et villages ont été réduits en cendres par les bombardements. Celles et ceux qui en ont réchappé ne sont pas sauvés pour autant. La malaria, le choléra, la dysenterie font des ravages. La faim les frappe aussi : les marchés sont déserts, les récoltes détruites et même l’aide alimentaire venue de l’extérieur n’arrive à franchir les frontières qu’au compte-goutte. Les femmes paient un lourd tribut, dont certaines préfèrent se suicider en se jetant dans le Nil plutôt que d’être violées.
L’ambition des deux chefs de guerre est à l’origine de ce carnage. Le général Al-Bourhane dirigeait l’armée soudanaise sous le régime du dictateur Omar Al-Bachir et avait à ce titre réprimé tous les mouvements populaires jusqu’à ce que, incapable d’endiguer la vague de manifestations déclenchée en 2019 par la hausse du prix du pain, il juge prudent de se rallier au mouvement pour mieux pouvoir l’étrangler. Son adversaire, Mohammed Daglo, dit Hemetti, était pour sa part à la tête des milices janjawid qui à partir de 2003 mirent à feu et à sang la région du Darfour et furent par la suite intégrées à l’armée soudanaise sous le nom de Forces de soutien rapide (FSR). Lui aussi fit tout pour écraser les manifestations, avant de participer comme son rival à un gouvernement dit paritaire avec les leaders civils du mouvement. Tous deux restèrent unis juste le temps de noyer la contestation dans le sang, ce qu’ils firent peu après.
Mais derrière les ambitions meurtrières de ces généraux, il y a aussi l’ombre des grandes puissances et de leurs alliés régionaux. L’Égypte et l’Arabie saoudite soutiennent militairement et financièrement Al- Bourhane. Les Émirats arabes unis sont dans le camp d’Hemetti. Les États-Unis, auxquels rien n’échappe dans cette région, ont pour l’instant laissé sans sourciller se dérouler le massacre, ne voulant froisser aucun de leurs obligés régionaux. Ils attendent de voir quel sera le vainqueur pour s’en faire un allié et se sont bornés à envoyer un émissaire, Tom Perriello, négocier avec Al-Bourhane le passage de l’aide humanitaire. Ils n’avaient pas ce genre de pudeur lorsque les FSR de Hemetti intervenaient au Yémen dans la coalition échafaudée par l’Arabie saoudite contre les houthis, avec les mêmes méthodes qu’au Darfour ou qu’aujourd’hui au Soudan. Ils furent aussi particulièrement actifs pour entraîner et financer les dirigeants de la sécession qui aboutit, après une longue guerre civile, à la création de cet émirat pétrolier qu’est le Sud-Soudan.
Les industriels de l’armement, eux, sont évidemment dans les deux camps. Il y a comme il se doit un embargo de l’Union européenne sur les armes à destination du Soudan, et un embargo de l’ONU portant uniquement sur la région du Darfour. Mais l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats figurant parmi les principaux clients des marchands de canons mondiaux, cela ne représente pas vraiment un obstacle. Amnesty International vient ainsi de révéler comment des matériels fournis par deux entreprises françaises, KNDS France, anciennement Nexter et Lacroix Défense, équipaient des véhicules blindés émiratis retrouvés au Soudan.
Les horreurs perpétrées dans ce pays font rarement la une de l’actualité. C’est un de ces conflits oubliés qui ensanglantent la planète, et en premier lieu les pays pauvres. Il témoigne cependant du sort horrible fait à une grande partie de la population mondiale par l’impérialisme qui, lui, n’oublie jamais ses intérêts dans aucune partie du monde.