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Syrie : la chute d’un dictateur
En moins de dix jours, la coalition dirigée par la milice HTC, héritière de la branche syrienne d’Al-Qaida, soutenue par la Turquie, a pris Damas et fait tomber la dictature sanglante de Bachar Al-Assad, qui a trouvé refuge en Russie.
La rapidité avec laquelle le régime s’est effondré montre qu’il avait perdu tout soutien ; à l’extérieur, avec l’affaiblissement de ses alliés régionaux, le Hezbollah libanais et les pasdarans iraniens, qui subissent depuis un an les attaques israéliennes ; à l’intérieur, où la population est épuisée par les privations tandis que les militaires et les cadres du régime l’ont lâché.
Malgré les multiples incertitudes qu’elle suscite, la coalition dirigée par Ahmed Al-Chara, alias Abou Mohamed Al-Joulani, le chef de Hayat Tahrir Al- Cham (HTC), qui répète partout qu’il n’a plus rien d’un djihadiste, est apparue en libératrice pour une large partie de la population. En quelques heures les réseaux électriques et téléphoniques ont été rétablis et des vivres distribués dans les villes.
Le plus poignant, ce sont les images de ces milliers de familles se rendant dans les sinistres prisons du régime dans l’espoir de retrouver leurs proches disparus. Symbole de la barbarie du régime, la prison de Saidnaya près de Damas était surnommée « l’abattoir humain » car des dizaines de milliers d’opposants y ont été torturés, emmurés vivants et pour la plupart exécutés. Certains survivants sortent après 20 ou 30 ans d’enfermement.
La chute du tyran a été fêtée par les millions de réfugiés syriens installés en Turquie, au Liban, en Jordanie ou dans des pays européens. Parmi ceux qui survivent dans des camps de réfugiés, qui subissent le chômage en exil, quand ce n’est pas la xénophobie orchestrée par les politiciens, beaucoup semblent envisager de rentrer au pays. Mais que vont-ils y trouver ?
Le dirigeant de HTC, Al-Joulani, qui apparaît comme le tombeur des Assad, s’est longuement préparé à ce rôle en se présentant comme un islamiste raisonnable, et pourquoi pas démocrate. Pourtant, il a fait ses classes en Irak après l’invasion américaine de 2003 où il s’est lié à tous les chefs djihadistes, en particulier dans les camps de prisonniers de l’armée américaine. Il s’est progressivement démarqué de Daesh, puis d’Al-Qaida, au cours des années où sa milice HTC a pu s’établir dans la région autour de la ville d’Idlib, dans le nord- ouest de la Syrie. Dans cette région où les différentes factions rebelles ont été regroupées sous la protection de la Turquie, Al- Joulani a réussi à leur imposer son autorité. Il a mis en place un gouvernement civil qui a restauré le commerce et les infrastructures indispensables à la vie quotidienne, y compris des hôpitaux, en profitant de la proximité avec la Turquie. Cette relative stabilité est mise à son crédit même si son « gouvernement du salut » a réprimé des manifestants, emprisonné des opposants et instauré une police religieuse. Mais il aurait aussi essayé de modérer les ardeurs répressives des miliciens djihadistes et a réussi à intégrer à ses troupes ceux qui étaient issus de l’opposition laïque. Il a bénéficié de la bienveillance de la Turquie mais certainement aussi su ménager les contacts avec l’Arabie saoudite, les États-Unis et même Israël.
Al-Joulani est encore classé comme « terroriste » par les dirigeants des États-Unis, qui tiennent certainement à l’avertir qu’il reste sous surveillance. Mais après avoir taillé sa barbe, abandonné son nom de guerre, il cherche à apparaître comme un champion d’une unité de la Syrie qui respecterait ses minorités. Il a organisé la passation du pouvoir entre le Premier ministre du régime déchu et Mohamed Al-Bachir, le chef du gouvernement d’Idlib. Il promet un gouvernement de transition avec des anciens ministres du parti baasiste d’Assad et revendique un modèle économique libéral à l’image du Qatar. Mais la population syrienne aurait tort de se fier aux promesses d’un Al-Joulani.
Le pays est ravagé par treize ans de guerre civile. Il reste découpé en territoires administrés par des appareils politico-militaires concurrents, parrainés par des puissances régionales en rivalité, et les manœuvres font rage pour déterminer qui va s’imposer. Depuis la chute de Damas, la Turquie intervient au nord face aux Kurdes, les États-Unis bombardent les reliquats de Daesh, tandis qu’Israël détruit le plus possible de bases militaires syriennes et fait avancer ses chars au-delà de sa frontière pour renforcer sa domination sur la région.
Il y a là toutes les raisons pour que la guerre civile et les guerres d’influence reprennent, avec le risque que la dictature d’Assad fasse place à celle d’islamistes réactionnaires recourant rapidement aux mêmes moyens.