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- Lutte ouvrière n°2938
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Editorial
Travailleurs licenciés, petits paysans étranglés, producteurs,sauvons-nous nous-mêmes !
Lundi 18 novembre, les agriculteurs ont repris le chemin de la mobilisation. Ils ont le grand mérite de ne pas se laisser faire. Et quand ça ne va pas, ils passent à l’action. Cette combativité doit inspirer tous les travailleurs.
Car si beaucoup de petits et moyens agriculteurs sont maltraités, que dire des dizaines de milliers de salariés de l’automobile, de la chimie, de la sidérurgie et de la grande distribution qui risquent de se retrouver sans gagne-pain ? Que dire des millions d’ouvriers, d’employés, de précaires forcés de se priver parce que des produits alimentaires de base restent hors de prix et que les salaires n’ont pas suivi l’inflation ?
Pire, c’est encore aux travailleurs que le gouvernement veut imposer de nouveaux sacrifices pour éponger les déficits. C’est le monde à l’envers : ceux qui sont les plus utiles et les plus indispensables à la société sont menacés jusque dans leurs conditions d’existence, quand les grands parasites, les financiers, les actionnaires, les milliardaires se vautrent dans un luxe extravagant.
Pendant que les travailleurs de Michelin ou d’Auchan, menacés de licenciement, vivent dans l’angoisse de ce qu’ils vont devenir, les membres des familles Michelin ou Mulliez mènent des vies de pachas. Pendant que certains agriculteurs triment du matin au soir, sans savoir s’ils réussiront à se verser un salaire, l’argent coule à flots dans les caisses des trusts de l’agroalimentaire, de la chimie des engrais, des semenciers, des fabricants d’engins agricoles, de la grande distribution et des banques qui les étranglent.
Oui, il n’y a aucune raison de se laisser marcher dessus et la lutte collective est la seule et unique voie pour se faire respecter ! Mais encore faut-il savoir pour quelles revendications se battre et contre qui.
La mobilisation des agriculteurs, organisée par la FNSEA, est dirigée contre le traité commercial que l’Union européenne est en train de conclure avec l’Amérique latine, le Mercosur. Mais celui-ci n’est pas encore en place, ce n’est donc pas lui qui est responsable de leurs difficultés actuelles.
Agiter le Mercosur comme un chiffon rouge, c’est cacher l’essentiel : la domination des capitalistes les plus gros sur les producteurs plus petits. Ces derniers sont toujours pris en étau entre leurs fournisseurs et leurs acheteurs que sont l’industrie agroalimentaire et la grande distribution.
Par exemple, la famille Besnier, propriétaire du groupe Lactalis, et à la tête d’une fortune de 40 milliards d’euros, a décidé de réduire sa collecte de lait pour garantir ses marges. Cinq cents éleveurs laitiers se retrouvent sans acheteur. Combien d’entre eux mettront la clé sous la porte ?
Les petits agriculteurs, comme les salariés, vivent sous le diktat du grand capital, et leur travail engraisse une série de parasites. Les plus gros agriculteurs, eux, jouent dans la cour des grands. À l’image du dirigeant de la FNSEA, Arnaud Rousseau, patron du groupe Avril (marques Lesieur, Puget…), ils profitent du commerce international en multipliant les exportations.
Tous les agriculteurs n’ont donc pas les mêmes intérêts. Les petits exploitants sauront-ils imposer les leurs, ou tireront-ils les marrons du feu pour les plus gros ? L’avenir nous le dira.
Comme les petits agriculteurs, les travailleurs attaqués doivent viser les véritables responsables. Et ces responsables que sont Michelin, Stellantis, Valeo se cachent tous derrière la concurrence internationale qu’ils appellent « déloyale » quand ils sont perdants. Ce discours est repris par tous les politiciens et parfois par les grands chefs syndicaux. Mais dénoncer les Chinois ou les Brésiliens, c’est exonérer de sa responsabilité le patronat que l’on a en face de nous, et c’est réduire les travailleurs à l’impuissance.
Les trusts capitalistes qui pleurnichent sur la concurrence étrangère défendent les lois du marché et la concurrence à l’échelle nationale et internationale. Et ils en sont les acteurs principaux car, pour eux, la concurrence est le seul moyen « d’aller manger dans la gamelle du voisin », comme l’avait si élégamment dit le PDG de Stellantis, Carlos Tavares.
L’unique préoccupation de ces rapaces est de s’entre-dévorer pour gagner des parts de marché et être plus profitables que leurs rivaux. Le tout, bien sûr, avec la peau des travailleurs.
Alors, ouvriers, employés, cheminots, travailleurs du public et petits agriculteurs n’ont pas le choix : pour être respectés, il leur faut se battre pour leurs intérêts de classe contre le grand patronat qui les exploite, contre sa rapacité et la folie de son système. Il faut se battre dans la perspective d’une toute autre société, une société organisée collectivement, planifiée et débarrassée de la concurrence aveugle.
Nathalie Arthaud