Tunisie : Kaïs Saïed veut faire taire les opposants15/05/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/05/une_2911-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Tunisie : Kaïs Saïed veut faire taire les opposants

L’avocate et chroniqueuse tunisienne Sonia Dahmani a été arrêtée le 11 mai, après que, quelques jours plus tôt, sur la chaîne Carthage+, elle avait contesté les propos racistes d’un autre chroniqueur qui s’en était pris aux migrants subsahariens, les accusant d’envahir son « pays extraordinaire ».

« De quel pays extraordinaire parle-t-on ? », a ironisé l’avocate, faisant allusion à tout ce qui pousse les jeunes à le fuir. Il n’en a pas fallu plus pour que les autorités la fassent arrêter par des policiers en civil, encagoulés, à la Maison des avocats où elle s’était réfugiée, entourée par des soutiens. Les faits se sont déroulés devant la caméra de France 24, pendant un reportage diffusé en direct, avant que celle-ci soit neutralisée par les sbires. Accusée d’avoir contrevenu à un certain article 54 d’un décret-loi qui, sous prétexte de diffusion de fausses nouvelles, tente depuis sa promulgation de faire taire toute voix opposante, l’avocate a été soutenue, le 13 mai par une grève de ses collègues à l’échelle du pays.

Ce n’est qu’une attaque de plus du président Kaïs Saïed, qui accuse systématiquement de complot contre l’État et de complicité avec les puissances étrangères ceux qui s’élèvent contre sa dictature. Peu auparavant, il s’en était pris à des associations humanitaires qui « reçoivent d’énormes sommes d’argent de l’étranger ». Le fond de son intervention consiste à taper, une fois de plus, sur les migrants subsahariens. Depuis près d’un an, ceux d’entre eux qui ont trouvé un travail et un toit en Tunisie, parfois avant de poursuivre leur route vers l’Europe, sont la cible d’une odieuse propagande raciste, largement encouragée voire provoquée par le président. Il s’agit d’une tentative de diversion dérisoire mais classique, face à la crise économique dans laquelle les 12,5 millions d’habitants du pays s’enfoncent.

Le chômage augmente. Officiellement, il atteint 16,4 % de la population active mais bien davantage dans les régions pauvres du centre et du sud. Les produits de base, la farine, le riz, le sucre connaissent des pénuries et des hausses de prix spectaculaires. Des coupures d’eau récurrentes provoquent des rassemblements, comme dans le secteur de Menzel Bouzalfa. Une grande partie des habitants des banlieues populaires de Tunis et des villes pauvres manquent de tout et subissent, toujours, la corruption à tous les niveaux. Élu en 2019 sur la promesse de faire cesser ce dernier fléau, Kaïs Saïed n’a fait qu’accumuler les déclarations de probité, jusqu’à son coup de force de juillet 2021 où il s’est emparé des pleins pouvoirs.

Rien n’a changé pour la couche de familles bourgeoises prospérant sur les richesses du pays, sur l’exploitation de la population travailleuse et de la jeunesse diplômée mais sans emploi, ni pour les groupes capitalistes occidentaux, en particulier français, profitant de l’ensemble. Kaïs Saïed, lui, s’est engagé à payer la dette de 80 % du PIB aux dépens de la population à laquelle il impose les habituels diktats du FMI et leurs conséquences catastrophiques. Parallèlement, il s’est pavané sur les photos en compagnie des dirigeants européens en quête de remparts contre ce qu’ils appellent « la vague migratoire ». Il s’est fait fort de sa politique antimigrants pour obtenir les 127 millions d’euros que lui vaut ce rôle.

Cinq ans à peine après son élection, non seulement Saïed a perdu les soutiens populaires dont il a pu bénéficier à l’époque, mais il ne peut manquer d’entendre les voix opposantes. Début mars, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Tunis, à l’appel de la centrale syndicale UGTT, pour l’augmentation des salaires et contre la répression syndicale. En un peu plus d’un an, plus de soixante opposants ont été arrêtés et, il y a quelques jours, l’une d’entre eux a été condamnée en appel, par une cour militaire, à un an de prison ferme. Pour autant, la dictature ne masque pas plus les difficultés économiques croissantes qu’elle ne fait taire le mécontentement.

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