Turquie : la colère explose contre Erdogan26/03/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/03/une_2956-c.jpg.445x577_q85_box-17%2C0%2C3294%2C4244_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : la colère explose contre Erdogan

En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan vient de franchir une marche supplémentaire dans la répression de toute opposition à son parti l’AKP, ainsi qu’à sa personne. Il tente de se maintenir au pouvoir en vue de l’élection présidentielle de 2028, contre vents et marées, dans un pays en crise.

Erdogan veut éliminer son principal opposant, le maire kémaliste d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, et veut briser les manifestations de protestation. Le 18 mars, il annonçait l’annulation du diplôme universitaire d’Imamoglu, indispensable selon la Constitution pour être candidat à la présidence de la République. Dès le lendemain, Ekrem Imamoglu était arrêté à l’aube, accusé de corruption et de liens avec le terrorisme, en clair, avec le parti indépendantiste kurde PKK et ses revendications. Des dizaines de membres et d’élus de son parti, le CHP, social-démocrate et principal parti d’opposition, étaient arrêtés en même temps. Le 23 mars, Imamoglu devait être investi candidat officiel du CHP à l’élection présidentielle de 2028.

Toutes les précautions avaient été prises, pour cette arrestation : les transports publics avaient été stoppés dans toute la partie européenne d’Istanbul. Pourtant, des manifestations de colère se sont rapidement organisées à Istanbul et dans d’autres villes, à partir des universités, sans appel dans ce sens des dirigeants du CHP, peu pressés de s’appuyer sur la mobilisation populaire. Ce n’est que devant la colère qui s’élargissait qu’ils ont rejoint les manifestants. L’autre parti d’opposition à Erdogan, le DEM pro-kurde qui a pris la suite du HDP interdit, a lui aussi d’abord hésité sur l’attitude à adopter avant de finir par déclarer « légitime de vouloir la démocratie ».

La protestation s’est élargie en allant de façon évidente au-delà de l’arrestation d’Imamoglu, devenue l’étincelle de la révolte contre le régime d’Erdogan. Ce dernier est devenu impopulaire dans une grande partie de la population, travailleurs les plus précaires victimes d’une inflation énorme, habitants des zones dévastées par les tremblements de terre abandonnés à leur sort, Kurdes privés de leurs droits et méprisés au point d’avoir vu leurs maires, régulièrement élus, destitués par Erdogan. Celui-ci est depuis longtemps déjà rejeté par tous ceux à qui la liberté d’expression et d’opinion est déniée, et a toutes les chances de l’être aussi à l’élection présidentielle s’il trouve le moyen de se présenter à nouveau. Le résultat des élections municipales de mars 2024 a déjà été un désaveu pour le parti d’Erdogan, au profit du CHP, qui a emporté une large partie des grandes villes.

En tentant des manœuvres en direction du DEM et en évoquant la libération du dirigeant du PKK, Öcalan, emprisonné depuis 26 ans, le président- dictateur a cherché à neutraliser l’opinion kurde ; et peut-être même à s’assurer son soutien en cas d’échéance électorale. Mais il ne lui a fait aucune concession réelle. Le coup de force du 19 mars semble réduire cette manœuvre à néant. Les prétextes invoqués pour inculper Imamoglu et l’emprisonner, l’ampleur de la répression et le nombre des arrestations vont dans ce sens : plus de 1 100 étudiants ont été arrêtés en quelques jours, ne serait-ce que pour avoir acheté avec leur carte de crédit du collyre pour se protéger des lacrymogènes.

Les manifestations se sont multipliées et amplifiées depuis le 19 mars : outre Istanbul, Ankara et Izmir, deux tiers des grandes villes du pays en ont connu. Jusqu’à présent, cela n’a pas arrêté Erdogan, qui a confirmé l’emprisonnement d’Imamoglu et de ses coaccusés, le 23 mars, au moment même où celui-ci était désigné, en son absence, candidat du CHP par 15 millions de votants. En même temps, des journalistes ont été arrêtés et les médias aux ordres s’ingénient à accréditer les accusations de corruption, voire de « complicité de terrorisme », visant Imamoglu, accusations qui ne convainquent guère, tant Erdogan les brandit à l’encontre de tout opposant.

Le 25 mars, la mobilisation dans les villes ne faiblissait pas, et les protestations de la jeunesse recueillaient de plus en plus d’approbation parmi les travailleurs et les classes populaires. En cherchant à éliminer ceux qui apparaissent comme une alternative politique, Erdogan a provoqué un début d’explosion sociale et ébranlé la stabilité de son régime.

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