République démocratique du Congo : guerres incessantes et pillage des matières premières23/06/20242024Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2024/06/une_241-c.jpg.484x700_q85_box-12%2C0%2C1371%2C1965_crop_detail.jpg

République démocratique du Congo : guerres incessantes et pillage des matières premières

En République démocratique du Congo (RDC), une guerre fait rage depuis près de trente ans, dans un quasi-silence médiatique. De 6,5 à 10 millions de personnes y ont été tuées et plus de 7 millions déplacées. Il a fallu le geste des joueurs de l’équipe nationale de RDC à la Coupe d’Afrique des nations de 2024, qui ont placé une main en revolver sur leur tempe et une autre devant leur bouche, pour que soit un tant soit peu dénoncé ce chaos sanglant et le silence des grandes puissances.

Situé à 3 000 kilomètres de la capitale Kinshasa, l’est de la RDC est ravagé par près de 200 bandes armées. Certaines sont dirigées par des chefs de guerre congolais, d’autres sont liées aux États voisins, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Ces milices vivent du racket des petits paysans qui coupent les bois précieux ou produisent du cacao, et de l’exploitation des centaines de milliers de « creuseurs de minerais ». Deux des principales provinces, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, renferment les plus grandes réserves mondiales de coltan, le minerai de tantale, ainsi que des gisements d’étain et de tungstène. Ce sont des métaux essentiels pour l’électronique, l’armement, l’automobile et l’aéronautique. Le Kivu et l’Ituri plus au nord renferment aussi des quantités importantes d’or. Ces guerres permanentes et leur cortège d’exactions, de viols et de mutilations sexuelles utilisés comme arme de guerre, ont des causes, une histoire et des responsables. Ils sont bien propres sur eux : ce sont nos dirigeants, ceux des grandes puissances impérialistes. Ils parlent de « mal congolais » ou de « malédiction africaine », osent déclarer comme Macron en mars 2023 à Kinshasa : « Vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur. » Ces déclarations, cyniques et mensongères, visent à masquer la responsabilité des grandes puissances – et celle de la France est écrasante – dans des guerres qui sont le produit de décennies de pillage et de rivalités impérialistes.

Les bombes à retardement de la politique coloniale

Ces rivalités datent du découpage colonial, en 1885 à Berlin. Le Congo Léopoldville, future RDC, une région vaste comme l’Europe de l’Ouest située dans le bassin du fleuve Congo, fut d’abord une colonie, propriété personnelle du roi des Belges, Léopold II, constituée, bien évidemment sans aucun respect des populations, langues, coutumes. La Grande-Bretagne mit la main sur l’Ouganda ; l’Allemagne colonisa le Rwanda et le Burundi, récupérés par la Belgique en 1918. Divisant pour mieux régner, les puissances coloniales figèrent les groupes humains qu’ils appelèrent ethnies. Au Rwanda, les colonisateurs favorisèrent les élites tutsies. Mais au Congo voisin, ils écartèrent des chefs traditionnels tutsis d’origine rwandaise qu’ils estimaient insoumis. Ils déplaçaient aussi les populations selon leurs besoins de main-d’œuvre. En 1937, l’administration coloniale belge créa la Mission d’immigration des Banyarwanda qui déporta des Tutsis depuis le Rwanda vers des régions congolaises. Des Hutus rwandais furent aussi déplacés pour travailler dans les mines d’or du Kivu et de cuivre du Katanga. En utilisant les divisions ethniques, les colonisateurs belges, tout comme les Anglais et les Français dans leur empire respectif, posaient les bombes à retardement qui explosent encore aujourd’hui.

En 1960, quand la Belgique concéda l’indépendance du Congo, l’unité du pays était extrêmement fragile. Rien dans le passé colonial n’avait permis de forger des liens solides entre les différentes régions de cet immense pays. L’économie avait été entièrement bâtie pour la métropole. Il n’y avait pas de bourgeoisie nationale solide ni même de couche dirigeante unifiée. À peine indépendant, l’État congolais fut soumis à de fortes pressions séparatistes. Chaque clan politique, attaché à une province, défendait son accès aux richesses du pays. Et derrière chacun, on retrouvait une grande puissance. De 1960 à 1963, les Belges et les Français soutinrent ainsi la sécession du Katanga, région riche en cuivre et en cobalt. Mais les États-Unis voyaient d’un mauvais œil l’éclatement du pays. Celui-ci aurait pu profiter à ses concurrents moins puissants, mais également déstabiliser toute la région et favoriser l’influence soviétique. En 1963, par le biais de l’ONU, les États-Unis intervinrent militairement pour porter au pouvoir le colonel Mobutu Sese Seko, contre la sécession katangaise, mais aussi contre les mouvements de révolte et de guérilla qui secouaient le Congo. Les dirigeants incarnant aux yeux des populations une politique anti-impérialiste furent systématiquement combattus voire assassinés, comme Patrice Lumumba, le principal dirigeant congolais. Tué le 17 janvier 1961 par des mercenaires katangais, français et belges, avec la bénédiction de la CIA, Patrice Lumumba devint un symbole de la lutte contre l’impérialisme, au Congo et bien au-delà, jusqu’à aujourd’hui.

Au Congo indépendant, des guérillas se réclamant plus ou moins du marxisme émergèrent, comme celle de Laurent-Désiré Kabila, qui fera parler de lui trente ans plus tard. Kabila reçut dans son maquis Che Guevara, venu avec 150 instructeurs cubains. Cette période vit aussi l’éveil politique de travailleurs, comme les mineurs évoqués dans L’or du Maniéma de Jean Ziegler, politisés dans ce roman par des militants réfugiés du Portugal. Mais la combativité de ces travailleurs fut encadrée et dévoyée par ces guérillas, qui se revendiquaient du marxisme afin d’obtenir le soutien de l’URSS, mais défendaient uniquement leur appareil et leurs chefs, en rivalité avec le pouvoir central soutenu par l’impérialisme.

Pendant 32 ans, le régime dictatorial de Mobutu mena un pillage généralisé des richesses du pays, entraînant la dégradation de toutes les infrastructures, des quelques services publics jusqu’aux entreprises industrielles et minières. Ce pillage ne put se maintenir qu’avec le soutien militaire, financier et politique constant des grandes puissances, pour lesquelles Mobutu était le dirigeant le plus fidèle de la région. À partir des années 1980, à cause de la chute du prix des matières premières, la situation économique devint catastrophique. Les plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et la Banque mondiale achevèrent le peu qu’il restait d’écoles, d’hôpitaux et de dispensaires.

Le chaos en RDC, produit des rivalités impérialistes

Dans les années 1990, le régime de Mobutu était exsangue. La crise économique aiguisait les divisions et les forces centrifuges. L’armée nationale n’avait plus les moyens de s’équiper et de payer ses soldats. Dans l’est, les politiciens s’appuyaient sur les rivalités ethniques pour renforcer leur pouvoir local et s’enrichir, en organisant leurs propres troupes. Dès 1993 au Nord-Kivu, la démagogie de politiciens conduisit à des pogroms anti-Tutsis, qui firent 7 000 morts et 250 000 déplacés. Mais ce qui fit basculer la région dans la guerre, c’est le génocide au Rwanda, en 1994, organisé par le régime hutu soutenu par la France. Les armées génocidaires, battues par l’armée de Paul Kagamé soutenue par les États-Unis, s’enfuirent sous la protection de l’armée française, qui avait saisi leurs armes, puis les leur avait rendues. Voilà pourquoi la France a une responsabilité directe dans le chaos à l’est de la RDC. En avril dernier, à l’occasion de l’anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda, Macron a déclaré que la France « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais n’en a pas eu la volonté ». C’est d’une hypocrisie sans nom car la France a, en toute volonté, armé et protégé les milices génocidaires. Celles-ci se sont ensuite réfugiées dans l’est du Congo, utilisant 1,5 million de réfugiés hutus comme masse de manœuvre. Elles y formèrent le Front démocratique de libération du Rwanda (FDLR), fort de 100 000 soldats, qui attaquait les populations tutsies congolaises. En réponse aux exactions des FDLR, des milices à dominante tutsies se formèrent. L’actuel M23, qui avec le soutien du Rwanda est devenue une véritable armée, a de lointaines origines dans ces milices.

Le chaos sanglant au Rwanda s’étendit ainsi au Congo. Cet embrasement coïncidait avec l’agonie du régime de Mobutu. Même l’extraction minière était en chute libre tandis que l’explosion de l’électronique aiguisait les rivalités pour le contrôle des minerais. Alors, en 1997, les États-Unis lâchèrent Mobutu, et misèrent sur son vieux concurrent Laurent-­Désiré Kabila. À partir de son fief dans l’est, et avec l’appui des armées rwandaises et ougandaises et des États-Unis, Kabila renversa Mobutu dont l’armée s’effondrait. Durant cette première guerre congolaise, les capitalistes liés à l’impérialisme anglo-américain signaient des contrats miniers dont Kabila et les affairistes autour de lui tiraient de solides rentes. Dans cette lutte, les groupes français furent mis hors jeu car la France soutint jusqu’au bout Mobutu.

Mais les appétits ouverts par le jackpot minier congolais s’envenimèrent. Kabila se retourna contre ses anciens alliés rwandais et ougandais. De 1998 à 2003, une nouvelle guerre ravagea presque tout le pays, pour le contrôle des diamants, du cuivre et du cobalt. L’est du pays fut occupé par les troupes rwandaises et ougandaises. Jusqu’à douze pays africains furent impliqués dans cette « guerre mondiale de l’Afrique ». Mais tous les acteurs de cette guerre généralisée n’avaient pas le même niveau de responsabilité : les petits chefs de guerre, et au-dessus d’eux les troupes congolaises ou étrangères, étaient bien responsables d’exactions et de violences sans fin. Mais, bien plus haut, les grandes puissances étaient les vrais responsables de ce désastre. Pour protéger les intérêts de leurs industriels à accéder aux ressources, pour défendre leur influence contre leurs rivaux, les impérialistes soutenaient tel dictateur ou tel groupe armé, produisant et faisant livrer par des mercenaires et des trafiquants le matériel militaire ravageant la région. Non, la barbarie n’est pas une tare congénitale de la RDC et de l’Afrique : elle est un produit d’exportation impérialiste, au même titre que le fusil d’assaut et le lance-roquette.

Des affrontements sans fin, produits d’une économie de prédation

En 2003, il y eut de prétendus accords de paix mais la guerre ne s’est jamais arrêtée dans l’est de la RDC. Aujourd’hui, les populations sont toujours prises en étau entre une multitude de bandes armées. Certaines sont de petits gangs, contrôlant une mine artisanale, ou un village et ses terres agricoles. Elles peuvent être issues de groupes d’autodéfense comme les wazalendo (« patriotes » en langue kiswahili), que l’actuel président congolais, Félix Tshisekedi, a récemment intégrés dans les forces armées de la RDC (FARDC). D’autres ont une envergure plus importante, comme le M23 qui est soutenu par le Rwanda et inclut des soldats rwandais ; ou les Allied Democratic Forces (ADF), une guérilla opposante au régime ougandais aujourd’hui affiliée à l’État islamique. Le Kivu et l’Ituri au nord-est de la RDC servent de zones refuges pour les groupes armés qui s’opposent aux régimes des pays de la région. Tous prétendent défendre la liberté, la démocratie et le peuple, mais ce ne sont que des appareils militaires aspirant à prendre le pouvoir et à établir leur propre dictature.

Les alliances et contre-alliances changent en permanence entre ces milices et armées régionales, au gré du pillage des minerais qui alimentent l’économie capitaliste. Il n’y a aucune unité à l’est du pays où l’État central est impuissant, et il n’y a aucun intérêt commun durable de ces chefs de guerre, qu’ils soient congolais ou étrangers. Chacun ne vise qu’à prélever sa part du pillage, dans des alliances mouvantes et des affrontements sans fin. Mais au bout du compte, tous se soumettent à l’impérialisme car leur pouvoir est fragile, produit d’une économie de prédation.

Le pouvoir du président Tshisekedi lui-même, réélu en décembre dernier, reste ainsi un château de cartes, qui ne tient que par la grâce des grandes puissances. Il a été reçu à Paris en avril 2024 par Macron, et Joe Biden a envoyé un représentant spécial à son investiture à Kinshasa. Dans le chaos d’alliances instables, Tshisekedi ne fait pas exception. Ainsi jusqu’en novembre 2021, il était l’allié du président rwandais, et les deux États avaient signé un accord de traitement des minerais de la Société aurifère du Kivu et du Maniéma par une raffinerie rwandaise. Kagamé et Tshisekedi s’affirmaient « frères ». La compagnie Rwandair desservait Kinshasa et d’autres grandes villes de RDC. Mais cette lune de miel a été détruite par les rivalités entre le Rwanda et l’Ouganda. En novembre 2021, la RDC a signé un accord militaire avec l’Ouganda ainsi que des contrats portant sur des infrastructures, notamment une route entre Goma, la capitale du Nord-Kivu, et Béni, une ville de un million d’habitants au nord de la province. L’accord précisait que les travaux devaient être protégés par l’armée ougandaise : c’était une remise en cause du rôle du Rwanda dans la région, où le contrôle des routes est crucial. C’est par ce réseau que les affairistes importent des biens de consommation ou des armes, et exportent le cacao ou les minerais. Peu après l’accord entre la RDC et l’Ouganda, le conflit dans le Nord-Kivu s’est brutalement aggravé, avec l’offensive du M23, soutenu par le Rwanda. Les tensions avec la RDC sont alors devenues explosives, et exacerbées car chaque camp joue du nationalisme pour faire se serrer la population derrière lui. En décembre 2023, lors de l’élection présidentielle en RDC, Félix Tshisekedi a comparé Kagamé à Hitler, l’accusant de vouloir mettre la main sur l’est de la RDC. Kagamé, lui a répondu en niant toute implication, alors que des soldats rwandais combattent dans le M23.

Mais ce n’est pas la seule milice, loin de là. On y retrouve aussi de nombreuses « sociétés militaires privées », un euphémisme pour désigner des bandes de mercenaires. En RDC, Wagner n’est pas présent mais il y a des barbouzes liés à la France. À Goma, capitale du Nord-Kivu, des anciens de la Légion étrangère française opèrent, aux côtés d’hommes d’affaires louches, comme un certain Olivier Bazin, alias « colonel Mario », courtier en matériel militaire. Sa société militaire privée, Agemira, a signé avec l’armée congolaise un contrat pour la maintenance de ses avions et hélicoptères, assurée par un quarantaine d’anciens militaires biélorusses et géorgiens. Comme bien des États issus des indépendances, l’État congolais s’effondre et laisse le pouvoir à des groupes de mercenaires qui se vendent au plus offrant, pour protéger le pillage des ressources naturelles de RDC.

Le pillage des minerais

Au milieu de ce chaos, l’extraction des minerais ne s’est jamais arrêtée, et elle nourrit directement les combats et les déplacements meurtriers de populations. Le principal est le coltan dont on extrait le tantale, un métal essentiel à beaucoup de productions modernes, les implants et les outils chirurgicaux, les condensateurs et matériels électroniques, les alliages spéciaux, utilisés notamment dans l’aéronautique civile et militaire. La RDC renfermerait 60 % à 80 % des réserves mondiales de coltan et a fourni 44 % de sa production mondiale en 2019, environ 2 000 tonnes. Il s’agit le plus souvent de mines dites artisanales comme celle de Rubaya au Nord-Kivu, qui produit 15 % de la production mondiale de coltan.

Pour exploiter les mines, le ministère des Mines congolais vend des concessions à des compagnies. Contrairement au cuivre et au cobalt du Katanga, dont l’extraction est dominée par le suisse Glencore, le groupe belgo-congolais Georges Forrest et de grandes compagnies d’État chinoises, les sociétés impliquées dans l’extraction du coltan sont de taille plus modeste. Les capitaux nécessaires sont limités car l’extraction s’y fait avec des moyens dérisoires, par la seule force des muscles des mineurs, qui creusent avec une bêche et une barre à mine, comme des forçats. Les sociétés gérant les concessions changent souvent et sont très opaques, comme les compagnies qui exportent ensuite le minerais via le Rwanda, le Burundi ou l’Ouganda. Deux compagnies dominent actuellement cette exportation du coltan extrait de RDC, dont la CDMC, qui est présidée par un homme d’affaires britannique nommé John Crowley, en affaires avec un courtier Suisse, Chris Huber. Les minerais sont envoyés vers le Rwanda ou l’Ouganda par voie terrestre, par pirogue à travers les lacs de la région ou par avion. Il y a peu de routes carrossables mais il existe de nombreux tout petits aérodromes privés. Les minerais partent ensuite vers les grands ports de la côte est de l’Afrique, comme Dar-es-Salam en Tanzanie, expédiés vers des fonderies en Thaïlande, en Malaisie ou en Chine. Les métaux parviennent enfin aux géants de l’électronique, de l’aéronautique et de l’armement, en Amérique du Nord, en Europe ou au Japon, sur les chaînes de production d’Apple, Intel, Samsung, Motorola, Thales, Dassault,… Ce sont eux qui sucent les richesses extraites par les creuseurs de RDC, aux moyens dérisoires, afin d’alimenter des productions de haute technologie.

La barbarie labellisée

Officiellement, les métaux extraits des régions en guerre de RDC sont soumis à une interdiction d’exportation. Les représentants des grandes compagnies occidentales affirment avoir des garanties que le tantale ou l’étain qu’ils utilisent ne proviennent pas de « minerais de sang ». Mais qui peut les croire ? Oh, il existe de bien jolis labels, censés certifier que les minerais ne viennent pas de zones contrôlées par des bandes armées. Mais la certification est assurée par les exportateurs eux-mêmes, ce qui explique une plaisanterie récurrente dans ce secteur minier qui dit : « Ce sont les loups qui gardent la bergerie ». Ces capitalistes de l’étain et du coltan, pour mettre le bon coup de tampon, distribuent les pots-de-vin aux agent du ministère des Mines de l’État congolais. Ces fonctionnaires n’ont bien souvent pas le choix : payés 1 dollar par jour, ils doivent faire vivre leur famille, et ceux qui résistent subissent les exactions de la bande armée au service de la compagnie qui a la concession.

Les conditions de travail des 240 000 creuseurs qui travaillent à l’extraction du coltan, de l’étain, du tungstène, sont inhumaines. Des reportages, souvent poignants, montrent la vie de ces mineurs, qui creusent des cuvettes et des galeries dans les parois des montagnes du Kivu, des femmes et des enfants qui entrent dans les trous pour en tirer les blocs de coltan sous la menace permanente d’un éboulement. L’exploitation y est féroce. Les compagnies concessionnaires cherchent à baisser le prix du minerai payé aux mineurs et parfois, il y a des coups de colère. En 2019 et 2020, les mineurs de Masisi, au Nord-­Kivu, se sont ainsi affrontés à la police des mines, au service des compagnies concessionnaires qui ne payaient jamais en temps et en heure.

Depuis 2012, la production d’or dans l’est de la RDC est aussi en augmentation. La plupart des mines sont artisanales, contrôlées par des bandes armées. Mais il y a aussi des mines industrielles, comme la mine de Kibali dans une province au nord de l’Ituri. C’est une des plus grandes mines d’or au monde, contrôlée par l’entreprise sud-africaine AngloGold et la canadienne BarrickGold, dont l’exploitation est sous-traitée à une filiale du groupe français Bouygues. Ces travailleurs sont un peu mieux lotis mais ils font partie de la même classe ouvrière que les creuseurs des mines dites artisanales. Ce sont souvent les mêmes travailleurs, qui passent d’une région à une autre, d’une mine à une autre, contrôlée parfois par un chef de guerre, parfois par des capitalistes occidentaux, au gré des combats et du travail disponible. Mais les coups de colère sur les sites miniers, industriels et artisanaux, démontrent que, comme partout, les travailleurs du Congo ne sont pas seulement des victimes de l’exploitation. Par leur travail, leur rôle indispensable, ils ont aussi la force de se défendre.

L’avenir est dans les mains de la classe ouvrière

Face à l’horreur de la situation, des commentateurs et les ONG défendent l’idée qu’il faudrait une meilleure certification des minerais exportés. C’est une vaste fumisterie, tant que ce sont les autorités et les entreprises privées qui assurent ce prétendu contrôle, et non les travailleurs eux-mêmes. D’autres expliquent qu’il faudrait boycotter les productions contenant du coltan ou d’autres métaux rares. Mais le tantale est indispensable pour le matériel médical ou des installations électroniques vitales. Enfin, les dirigeants des grandes puissances ont pu prétendre que l’intervention de l’ONU permettrait de stabiliser la situation. On voit qu’il n’en est rien et, aujourd’hui, la Mission des Nations unies au Congo (MONUSCO) est en train de se retirer. Pire, certains de ses officiers ont été impliqués dans des trafics d’armes.

En RDC, comme dans tous les pays dominés par l’impérialisme, rien de bon ne peut venir de l’ONU et des grandes puissances, qui sont les premières responsables. Rien de bon ne peut venir des politiciens du pays, avant tout préoccupés de la place qui leur permet d’accéder aux miettes du pillage que leur laissent les capitalistes occidentaux. Les États issus des indépendances sont en train de s’effondrer, démontrant qu’il n’y a aucun espoir de développement dans le capitalisme, même dans un pays aussi vaste et riche en ressources naturelles que la RDC. C’est le capitalisme qui a transformé l’est de la RDC en un bourbier sanglant qui nourrit les fortunes des milliardaires américains ou européens. Ce chaos n’est pas un problème congolais mais la démonstration que le capitalisme n’a rien d’autre à offrir que le sous-développement et la violence généralisée aux pays dominés par l’impérialisme.

Mais, comme partout sur la planète, il existe en RDC une classe ouvrière sans qui la société n’existerait pas, sans qui l’économie ne fonctionnerait pas. L’espoir ne peut venir que de la population laborieuse. Ce sont les travailleurs des mines, les très nombreux petits transporteurs, qui assurent avec des camions ou de simples vélosla distribution des biens indispensables à la population. Ce sont les petits paysans qui produisent le cacao ; les coupeurs de bois exploités par des chefs de guerre ; les petites vendeuses de rue, les creuseuses. De l’autre côté des frontières, en Ouganda ou au Burundi, la vie n’est guère plus facile pour les travailleurs, confrontés à la vie chère, aux violences des autorités et à leurs policiers. Les exactions des milices comme le M23, et en face la rhétorique nationaliste des politiciens, alimentent les tensions ethniques. C’est là aussi une façon de dresser les pauvres contre d’autres pauvres, une démagogie qui prépare de nouveaux massacres.

Il n’y a aucune fatalité. Quand la révolte éclatera, elle pourra se transmettre par contagion car des liens existent entre tous ces travailleurs. En Afrique de l’Est, en Ouganda, en Tanzanie, au Kenya et jusqu’à Mayotte, les réfugiés venus de l’est de la RDC sont nombreux. Une infime minorité arrive à rejoindre les pays riches, l’Europe et les États-Unis, où ils grossissent les rangs de la classe ouvrière. À travers les chaînes d’approvisionnement de l’industrie capitaliste, nous sommes tous liés par l’exploitation. Seuls les travailleurs peuvent remettre la société sur ses pieds, car ils assurent la production partout sur la planète, des mines de coltan aux usines d’électronique high-tech des pays riches, en passant par les fonderies d’Asie du Sud-Est. Le chaos, qui progresse sur tout le continent africain et ailleurs sur la planète, a sa source dans la domination des grandes puissances. La prochaine révolution ouvrière partira peut-être d’une mine de RDC mais elle ne pourra vaincre que si elle s’étend partout, et renverse tout l’ordre impérialiste. Ce combat, seule la classe des travailleurs peut le mener jusqu’au bout, dans les pays dominés par l’impérialisme comme dans les citadelles du capitalisme.

18 juin 2024

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