Égypte : pénuries alimentaires, crise et répression02/11/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/11/2518.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Égypte : pénuries alimentaires, crise et répression

« Avant l’élection présidentielle, nous avions du riz, du sucre », a dit un chauffeur de taxi du Caire, interviewé par une chaîne privée début octobre. Il faisait écho à la raréfaction de certaines denrées alimentaires de base dans les magasins populaires, et à leur exorbitante augmentation de prix.

Après le riz, puis l’huile alimentaire, la pénurie de sucre a récemment cristallisé l’inquiétude des ménagères ne parvenant pas à s’approvisionner, ni en sucre subventionné, ni même en sucre non subventionné. Dans les beaux quartiers, les rayons en disposent, à prix élevé, mais la chaîne Carrefour en a néanmoins limité la vente à deux kilos par client. Le gouvernement égyptien a saisi des milliers de tonnes de sucre stockées chez Edita Food, un des grands groupes agroalimentaires du pays, et chez PepsiCo, afin de constituer des réserves. Le pays doit en effet importer au moins un tiers de sa consommation, et les devises manquent. Quelques mois auparavant, c’est le lait infantile qui avait disparu des rayons ; l’armée avait alors annoncé qu’elle en importerait directement, pour le revendre à moitié prix.

Outre les pénuries alimentaires sporadiques, la hausse des prix rend la vie quotidienne de plus en plus pénible. À deux pas des champs, les tomates se vendent à 10 livres égyptiennes (10 LE = 1 euro) sur les marchés de la capitale, alors que le salaire moyen – de ceux qui ont un salaire – est de 868 LE par mois. Le prix du riz, denrée de base, a été multiplié par deux en un an ; le pain, aliment essentiel des plus pauvres, agrémenté de purée de fèves, ne reste accessible que parce qu’il est largement subventionné.

Mais justement, le président al-Sissi a de nouveau annoncé mi-octobre des réformes « difficiles mais inévitables », en échange du prêt de 12 milliards de dollars accordé par le FMI. Alors que les prix de l’électricité et du carburant ont déjà augmenté, les subventions sur ces produits indispensables devraient être réduites de façon drastique. Les impôts, pour ceux qui en paient, et les taxes sur le tabac et l’alcool devraient augmenter. Une forme de TVA, longtemps repoussée, devrait être mise en place. Concernant les 6 millions d’employés de la fonction publique, les économies se porteraient sur les congés, qui seraient rognés, avec des pressions pour des démissions et départs anticipés en retraite, sachant que les pensions ne permettent pas de vivre. L’inflation est telle qu’une deuxième dévaluation de la livre devrait être décidée cette année, qui renchérirait le prix de tous les produits importés. Les loyers, sujet abordé par Sissi dans ses discours, ont tant augmenté que, le 18 octobre, à Port-Saïd, des milliers de manifestants se sont rassemblés aux cris de « Donnez-nous un toit ou tuez-nous ! ». La banque de financement immobilier venait d’annoncer par SMS que le prix de la réservation nécessaire à l’obtention d’un logement social passait de 10 000 LE (plus d’un an de salaire) à 47 000 ! Après la manifestation, le gouvernorat a annulé la mesure.

Depuis qu’il est président, Sissi, qui s’était vanté de parvenir à doper la croissance économique et à restaurer l’Égypte dans son ancienne position de puissance régionale, doit affronter le mécontentement de la population. Les illusions liées à son arrivée au pouvoir à la suite du coup d’État qui a chassé le président frère musulman Morsi, sont en grande partie tombées. Toute voix critique est étouffée, et la répression s’abat sur les militants ouvriers et les contestataires. Les effets de la crise n’ont pas été atténués par les grands travaux entrepris. Gouffre pour l’État, le doublement du canal de Suez a enrichi les entreprises du BTP mais ne tient pas ses promesses de rentabilité avec le ralentissement du commerce maritime. Maintenu à flot uniquement par les milliards d’aides des puissances du Golfe, le pays reste un eldorado pour une couche de riches bourgeois et pour la clique militaire qui gouverne et fait des affaires mais, selon ses propres statistiques, plus de la moitié des 90 millions d’habitants vivent dans la pauvreté.

Par peur d’une explosion sociale, le pouvoir égyptien voudrait éviter de supprimer les subventions aux produits de base, mais il obéit aussi aux grandes puissances, qui exercent leurs pressions par FMI interposé. Même en maintenant sous les verrous quelque 60 000 prisonniers d’opinion, même en muselant la contestation sous les menaces d’arrestations, de disparitions forcées, de procès arbitraires, Sissi et l’armée au pouvoir ne peuvent empêcher les protestations.

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