Géorgie : contestation et jeu des grandes puissances25/12/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/12/une_2943-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Géorgie : contestation et jeu des grandes puissances

Depuis un mois, des manifestations secouent à nouveau la Géorgie, une ex-république soviétique du Caucase de 3,7 millions d’habitants. Elles accusent le parti le Rêve géorgien d’avoir fraudé aux législatives d’octobre pour rester au pouvoir, et lui reprochent son refus de garder le cap sur l’intégration à l’Union européenne et à l’OTAN.

Élue à la tête de l’État en 2018, avec le soutien du Rêve géorgien avant de rompre avec lui, la présidente Salomé Zourabichvili incarne ce cours pro-occidental. Opposée au gouvernement qui a déjà tenté de la déposer, elle refuse de partir au terme de son mandat car elle juge illégitime l’élection de son successeur par une faction dite pro- russe.

Depuis la fin de l’URSS en 1991, les rivalités de personnes et de clans ont souvent plongé dans le chaos ce pays, coincé entre la Russie et la Turquie. Mais il se trouve pris aussi dans un conflit à une autre échelle, dont les enjeux lui échappent.

Contre la bureaucratie et l’impérialisme

En effet, la Géorgie fait partie de ce qui reste plus ou moins la sphère d’influence de la Russie. Or les États-Unis et les autres puissances impérialistes veulent la réduire le plus possible. Depuis trois décennies que l’URSS a disparu, leur pression s’exerce sur son ancien territoire au fil de convulsions politiques plus ou moins sanglantes, avec des avancées et des reculs pour chaque camp. Sur place, on assiste à un bras de fer entre le camp rallié à l’Occident et celui qui, souvent faute de mieux, se tourne vers la Russie.

Cela s’est vérifié en grand, et dans la guerre que l’on sait, en Ukraine. Cela vaut aussi en Moldavie, dont la partie industrialisée est tenue par des troupes russes, et dans plusieurs ex-républiques soviétiques d’Asie.

En Géorgie, les couches dirigeantes de deux régions, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, ont fait sécession, en se plaçant sous l’aile de Moscou pour échapper à la tutelle de Tbilissi. Une troisième, l’Adjarie, a elle aussi une propension à prendre le large.

Il n’est pas surprenant que, dans cette partie du monde, d’importantes parties de la population, dont la petite bourgeoisie, poussent à rallier le camp occidental, en appelant « démocratie » leur envie de pouvoir librement s’enrichir avec la bénédiction de la Constitution, comme leurs sœurs des riches pays de l’Ouest. Mais dans les couches populaires, l’attrait de l’Occident, dont ont joué les bureaucrates locaux en faisant éclater l’URSS pour s’y tailler des fiefs étatiques, n’est sans doute plus aussi vif. Quelques années « d’ouverture au marché » ont suffi pour plonger dans la misère la population de la Géorgie, alors que nombre de Soviétiques la voyaient comme la république où l’on vivait le mieux.

Quant aux chefs de la bureaucratie géorgienne et aux oligarques qui, comme en Russie et en Ukraine, y ont prospéré sur l’expropriation mafieuse de l’économie nationalisée, certains en sont venus à se dire qu’ils n’avaient pas grand-chose à attendre d’un alignement total sur l’Occident, sinon la perte de leurs principales sources de privilèges. Et d’en conclure, tel l’oligarque Bidzina Ivanichvili, chef du Rêve géorgien, qu’il vaut mieux maintenir des relations économiques profitables avec le Kremlin, en s’inspirant au passage des lois russes pour briser la contestation. Tbilissi vient ainsi d’adopter une loi sur les « agents de l’étranger » qui menace tout opposant et qui a mis dans la rue des milliers de manifestants durant deux mois.

Défendre les intérêts des exploités

Mais cela ne peut faire oublier les mésaventures d’un ancien président, Saakachvili, si ouvertement pro-occidental qu’il déclara la guerre à la Russie, et la perdit ainsi que deux provinces. Arrivé au pouvoir en 2004 après « la révolution des Roses », il dut s’enfuir en 2013, vomi par la population et poursuivi en justice pour « abus de pouvoir ».

Nul ne sait ce qui peut résulter de l’actuelle contestation, que le régime réprime avec force. Mais une chose est sûre : quel que soit le camp qui l’emporte, quelque soutien qu’il trouve dans la population, il ne représentera pas les intérêts de classe des masses laborieuses.

Quant au droit à l’autodétermination de la Géorgie qu’invoquent certains, ce n’est pas le problème de l’Occident impérialiste. Il n’a que faire du droit des peuples, il n’y a qu’à voir comment il le traite partout. La bureaucratie poutinienne n’a rien à lui envier, comme l’actualité le rappelle en Abkhazie. Cette ex-république autonome de la Géorgie soviétique s’en est séparée en 1992, devenant un protectorat russe. Or, le Kremlin vient d’y déclencher la colère de la foule en voulant imposer une loi sur les « agents étrangers » et une autre qui favorise les projets immobiliers russes aux dépens de la population locale. Pour que les manifestants « libèrent » le Parlement, il n’a pas fallu moins que la démission du président abkhaze, et homme de Moscou.

Ainsi, le seul choix offert aux travailleurs d’Abkhazie ou de Géorgie est de troquer un régime d’oppression pour un autre ne valant pas mieux. À moins d’inscrire leur combat dans celui de la classe ouvrière mondiale pour renverser le système capitaliste.

Partager